Certains s'amusent déjà à parler de Nouvelle-France comme d'un Titanic québécois. Il est évidemment trop tôt pour se risquer à une telle comparaison, de toute façon inopportune et maladroite. Certes, le film de Jean Beaudin (écrit par Pierre Billon) est une «fiction historique» au budget confortable, une grande histoire d'amour sur fond de désastre (ici la conquête anglaise, 1758-1961) et Céline Dion y vient chanter sa ballade au générique de fin. Mais 33 millions de dollars, c'est une poignée de petit change devant les quelque 200 millions étalés pour venir à bout du gros Titanic.
Tout de même, Nouvelle-France est une coproduction ambitieuse.«C'est vrai qu'il y a du stock là-dedans, concède facilement Jean Beaudin. C'est une coproduction entre le Québec, la France et l'Angleterre et on a Gérard Depardieu, Irène Jacob, Vincent Perez, Tim Roth. C'est fait pour le grand public, le plus large possible. Une grande histoire d'amour avec des violons. Dès qu'un film attire le grand public, on trouve le moyen d'être négatif. C'est une attitude un peu suicidaire. Je me dis qu'un cinéma populaire qui marche bien permet au cinéma d'auteur d'exister, et non l'inverse évidemment. Le cinéma populaire d'ici emmène les gens dans les salles pour voir des films québécois. S'il sort un film d'auteur, un film plus complexe, peut-être qu'ils iront le voir parce qu'il est fait ici. C'est un effet d'entraînement.»
On a rencontré Jean Beaudin lors des inévitables séances d'entrevues promotionnelles. Un Beaudin tout à fait relax, posé et enthousiaste. «C'est un projet qu'on m'a proposé il y a cinq ans. J'étais sur un autre tournage. Il y a des projets comme ça qui disparaissent et qui reviennent. Ce film-là parle d'un moment de notre histoire, c'est même le moment-clé de notre histoire. La France nous laissait tomber, on était en train de perdre. La France dépensait deux fois plus d'argent pour les fêtes à Versailles qu'elle en accordait à la Nouvelle-France. C'est là qu'on est devenu un peuple colonisé. Ce ne sont pas les «méchants Anglais» qui nous ont battus mais plutôt les Français qui nous ont laissé tomber. La défaite a fait ce qu'on est, elle a peut-être contribué à nous rendre plus débrouillards, plus créateurs. Il y a quelque chose de beau dans la façon dont on s'en est finalement sortis. Au cinéma, on n'a pratiquement jamais parlé de ce moment historique, de l'abandon de la France.»
Sur cette toile de fond tragique, donc, une histoire d'amour. Plusieurs histoires d'amour, en fait, toutes plus ou moins contrariées. Celle, tendre, pudique et maternelle, de Marie-Loup, une jeune femme pauvre mais courageuse (Noémie Godin-Vigneau) et de sa fille France (Juliette Gosselin). Le cinéaste parle avec affection et admiration de ses personnages féminins : «On est tous quelque part des descendants de Marie-Loup. Les femmes de cette époque-là étaient fortes. Il y avait une étonnante liberté sur le plan des relations entre les hommes et les femmes, même sur le plan sexuel. La proximité des Amérindiens, des Montagnais, y était pour beaucoup. Les femmes qui fréquentaient les Innus avaient cette espèce de liberté et étaient capables de se tenir debout.»
S'agirait-il là d'une fiction historique féministe ? Beaudin aime bien l'idée. «Oui, pourquoi pas ? Mais moi, j'ai fait des «films de femmes» toute ma vie. J'ai peut-être une sensibilité plus féminine que masculine. Au fond, ce qui m'intéresse au cinéma, ce sont souvent plus les personnages que l'histoire. J'ai soixante et quelques années et j'ai appris à vraiment aimer le cinéma avec Renoir, Bergman, Truffaut. Du cinéma d'acteurs, où les acteurs sont la matière première. J'accorde une importance particulière aux personnages, donc au casting, parce que sont eux qui vont faire le film. Les auditions ont été assez longues avant de trouver Noémie et Juliette.»
La première Québécoise
Noémie Godin-Vigneau, qui s'est également prêtée aux séances d'entrevues en rafales, décrit aussi son personnage Marie-Loup, sorte d'ancêtre de la Québécoise moderne, en des termes élogieux.
«C'est une vraie héroïne, avec de très belles qualités, un sens de la justice, de l'amour, de la compassion, dit-elle. J'aimais qu'elle soit proche des Amérindiens. C'est une sorte de féministe avant l'heure. Pour ce rôle, j'ai un peu pensé à la Élizabeth interprétée par Cate Blanchett, à sa force de caractère, sa dignité, sa détermination, mais dans un autre monde et dans un autre milieu social évidemment.»
Nouvelle-France est annoncé chez nous avec tambours, trompettes, orchestre et grand cirque médiatique, ce qui ajoute à la pression déjà pesante que doit subir la jeune actrice, qu'on ne dirait pas timide ni réservée, mais prudente. «Le cinéma, c'est une drôle d'affaire, croit Noémie Godin-Vigneau. Il y a beaucoup de publicité sur les acteurs. Je ne sais pas trop quoi penser, je suis en pleine réflexion à propos de tout ça. Je ne sais pas si c'est bon pour ma personne, spirituellement, de voir ma face partout sur les affiches, de lire ce que j'ai dit en entrevue. Mais c'est un exercice intéressant. Il y a une prise de parole qui m'est offerte à propos du film, mais je ne suis qu'une partie du processus de création. Il y a une quantité énorme de décisions qui ne me regardent pas. Je suis interprète. Il y a tellement de monde qui participe à un film, c'est le travail d'une ruche. Ce n'est pas évident d'être porte-parole d'un projet comme ça, mais je veux bien le faire, j'en ai envie.»
Un projet de grande envergure, des tournages nécessairement épuisants (tout a été tourné deux fois, en français et en anglais) mais dans une ambiance d'accord et de complicité. «Avec les acteurs, David La Haye, Juliette, toute l'équipe, on a passé quatre mois ensemble, souvent 15 heures par jour, on a voyagé en Angleterre, en France. Forcément, il se crée comme une petite famille. Le cinéma est un médium que je découvre. J'ai des vieilles fascinations pour le cinéma, les comédies musicales américaines sont mes premières amours, mais j'ai été formée surtout par le théâtre. Enfant, j'aimais déjà jouer», dit celle qui a passé sa jeunesse entourée d'artistes d'à peu près toutes les disciplines artistiques: un père sculpteur, des gens de théâtre, des amuseurs publics, des musiciens, etc.
«Dans le fond, c'est l'art qui m'intéresse. À l'école secondaire, je suis allé en arts parce que c'était plus intéressant pour moi que la polyvalente à Hull où je ne trouvais pas beaucoup de stimulation. Je suis allée vers le cinéma par attirance naturelle, par envie de découvrir un autre moyen de comprendre la vie, exprimer les choses. Je n'ai pas décidé à 20 ans: je veux faire du cinéma. Ça s'est fait pas à pas. C'est comme traverser une rivière, on met le pied sur une roche, sur une autre etc.»
Noémie Godin-Vigneau n'a décidément pas les ambitions d'une star montante avide de kodaks, de galas et de tapis rouges. Aussi, passé l'éreintante tournée de promotion, elle regagnera vite l'Argentine, où elle habite pour quelque temps, sorte de cure qui lui permettra de souffler et d'envisager l'avenir sans pression, avec calme et réflexion. Avant qu'elle quitte, le bon peuple veut savoir: «Est-ce que Depardieu est fin dans la vraie vie?» Oui, Depardieu est fin dans la vraie vie. Revenons-en...
source : Aleksi K. Lepage, collaboration spéciale, La Presse
à 18:49